La contraception, j'en avais toujours entendu parlé, je n'avais jamais cherché à en avoir une. Vous comprenez, les campagnes de prévention au collège, au lycée, chez le médecin, à la bibliothèque, protège toi du sida, protège toi des enfants. Oui la contraception, je savais ce que c'était, je savais comment agissait la pilule, grâce à mes cours de Bio. Mais vous voyez, la contraception, quand on a pas de mec, à quoi ça sert ? Alors la pilule, toutes les filles autour de moi en prenait une, une avec un nom marrant, une autre avec un nom joli, une autre, un nom féminin.

J'ai quasiment toujours eu des boutons sur la gueule. Depuis mes dix ans environ. La puberté je l'ai bien vu passer, enfin non. J'ai eu les boutons, les vergetures, les hanches, les règles, mais les seins, je les attends toujours. L'acné, je suis passée par je ne sais combien de traitement, aucun n'a jamais réellement fonctionné. Au début je voyais une petite amélioration, et puis finalement les hormones finissaient toujours par revenir plus fortes. Au bout d'un moment on abandonne.

Là où je n'ai jamais réussi à abandonner, c'est pour mes règles. Anarchiques, Niagaresques, longues et extrêmement douloureuse. Je finissais par manquer deux jours de lycée environ une fois tous les trente jours. Ou quarante. Ou cinquante. Ou quinze. Alors quand mon infirmière m'a dit "tu sais, la pilule pourrait régler ton cycle, et t’alléger tes douleurs", j'ai commencé à me dire "on s'en fout si je suis célibataire".

Mon médecin traitant, il me suit depuis longtemps. Il en a vu des traitement anti acné. Il a vu mes mauvaises années, et il a vu aussi que je n'en pouvais plus. Il connaissait les antécédents de ma mère (caillot dans les intestins qui ont fini par pourrir, infarctus mésentérique de son nom scientifique.) On a parlé, longuement, et il m'a mentionné une pilule qui pourrait traiter mes règles douloureuses et potentiellement réduire mon acné. Je n'y croyais pas. On a tenté l'aventure troisième génération.

Le premier mois fut un miracle. Je n'avais quasiment plus aucun bouton (alors quand ils disent à la télé qu'il n'y a "aucun fait scientifique qui prouve l'efficacité contre l'acné", je ris). Et lors du moment fatidique, que j'attendais avec angoisse, un véritable miracle. Je ne me suis même pas aperçu que j'avais mes règles. Aucune douleur, un flux, certes présent, mais tellement inexistant par rapport à d'habitude. Pourquoi changer une équipe qui gagne ? Continuons ! Deuxième mois sans soucis, troisième également ! Oh, tiens, c'est bizarre, je saigne de moins en moins lors de mes règles, c'est beaucoup plus épais, beaucoup plus… cailloteux.

Et puis un jour, je commence à avoir mal à la hanche. Oui, vous avez bien lu, à la hanche. Pas dans le mollet, pas dans la jambe, je ressens à peine une petite gène quand je marche, au bout de longues minutes, quand je ne suis pas en talons. Je me dis que j'ai fait un faux mouvement. Une semaine passe, cela ne part toujours pas. Je n'ai pas envie de consulter un médecin, je n'ai pas le temps, je suis à la fac, elle est bloquée, j'angoisse pour mes cours, j'en ai rien à battre d'une douleur qui me semble minime. Deux semaines passent, elle est toujours là. Ça commence à faire long, mais après tout, j'ai parfois eu mal longtemps sans aucune explication et la douleur repart comme elle est venue. Trois semaines, bon, d'accord, pas aussi longtemps.

"Maman, j'ai trop mal, j'peux quasiment plus marcher, j'peux plus aller en cours.
– Rentre, je prends un rendez-vous chez le médecin, manquerait plus que tu nous fasses un rhume de hanche à ton âge!
– Ok, normalement j'ai un train dans quelques heures, mais faut d'abord que j'aille payer le bus pour le mois prochain, sinon je reviendrais je ne pourrais pas prendre le bus.
– Je t'attends, préviens moi quand tu es dans le train !"

Je ne l'ai jamais prévenue du train. Ce sont les Urgences qui s'en sont chargées. Dans la rue qui allait des locaux de bus de Tours à la gare, Médecins sans frontières faisait une collecte. Un jeune homme m'a abordé, me demandant un peu de temps. J'avais ma valise, pardonnez moi, faut que je prenne mon train. "Vous allez bien madame ?" Pas vraiment monsieur, j'ai très mal à la jambe. Je peine tellement à marcher qu'il appelle un de ses collègues pour prendre ma valise. Lui me prend sur son dos. Il court jusqu'à la Gare mais doit s'arrêter à un feu rouge, il me pose, délicatement. Ma jambe cède, je ne peux plus me relever, j'ai trop mal. La police passe à ce moment. "Vous allez bien madame ?" Non, faut que je prenne mon train. On peut pas vous laisser repartir comme ça, vous comprenez ? Mais mon train. Les pompiers arrivent. Mais je veux juste prendre mon train !

Deux heures et demi aux urgences pour savoir ce que j'avais. Parce que vous voyez, un mal de hanche, c'est plutôt pas banal pour une thrombose profonde (et tellement puissante que je ne sais même pas comment j'ai fait pour ne pas perdre ma jambe). Heureusement que je n'ai pas pris mon train "sinon on aurait retrouvé un cadavre à l'arrivée". Clair que plus de trois semaines avec un sang aussi épais que du sirop concentré.

Quelques mois d'anti-coagulants et bilans sanguins plus tard, je sais que Leiden et une mutation (yeah, j'suis une X-men!) me causeront des soucis à vie.

Je n'en veux pas à mon médecin. Il a pris le médicament le plus apte à "soigner" la plupart de mes maux. J'en veux aux laboratoires qui connaissent les chiffres et qui ont refusé de revoir leurs formules. J'en veux à mon corps, parce qu'il m'a lâché au moment où je pensais enfin que j'avais une chance de vivre comme n'importe quelle femme de mon âge.

Aujourd'hui je fais parti des chiffres qui ne sont pas pris en compte. Je fais partie de ces quelques femmes qui ont eu une phlébite mais pas assez "grave" pour être référencée. Je n'ai pas eu d’embolie, je n'ai pas eu d'AVC. Aucune séquelle, à en croire les médecins, parce que les douleurs dans ma jambe lorsque le temps change ou que les efforts sont trop intenses, c'est dans ma tête.